Amy
                Marie-Thérèse Humbert

  Le livre de Poche
  1998
  314 pages
Note : 14/20

Amy a l'innocence de l'enfance. De ses yeux de petite fille noire, elle regarde s'écouler la vie paisible des blancs. Les blancs qui ne sont jamais fatigués puisqu'ils ne travaillent pas. Les blancs qui se font servir par des domestiques noirs. C'est ce qu'elle fait la maman d'Amy, elle sert des thés à sa madame et lui apporte des magazines pour les chauds après-midis sous la varangue. Et comme elle dit maman Daisy, "Les blancs ont bien de la chance eux ! Jamais de véritables soucis, jamais de casseroles à récurer ni de cuisine à préparer, ils n'ont qu'à désirer quelque chose pour l'obtenir. ". Alors Amy, elle, elle croit qu'il suffit d'être blanc pour être heureux. Elle a même l'audace d'imaginer qu'elle pourra elle aussi être blanche un jour… quand elle sera riche et qu'elle pourra s'acheter la sublime crème Hazeline Snow, celle qui " fait vine blanc ". Alors oui ce jour-là, elle pourra être heureuse.
Mais en grandissant et en devenant la demoiselle de compagnie de la petite fille blanche, celle qui était si jolie dans la grosse auto noire, Amy comprendra qu'il suffit plus qu'une couleur de peau et une grande maison pour découvrir le bonheur. Car le bonheur, le vrai, c'est celui de la richesse du cœur.
Un livre magnifique où se côtoient candeur de l'enfance, vieilles croyances mauriciennes, mentalités coloniales et réalité de la vie.

Lorsque je m’étais retrouvée seule le lendemain sur le chemin de l’école, je m’étais rappelé avoir cru intercepter, entre Ah-Fat et sa madame, quelque chose comme un clin d’œil (mais dans la pénombre de la boutique, n’est-ce pas, je pouvais bien m’être trompée); j’avais repensé aux griefs de ma mère contre ce " grand voleur de Chinois ", je m’étais étonnée que personne à Paille-Rousse, ne se fût jamais intéressé aux pouvoirs miraculeux de la crème Hazeline Snow et le doute s’était infiltré en moi, perfide, tenace: et si "blanchit" ne voulait pas dire "faire vine blanc" ?
Après tout, n’aurait-il pas eu le propos délibéré de me tromper, le Chinois, qui ne parlait pas bien le français, pouvait avoir mal compris...
A la fin, ne sachant plus à qui me fier, j’avais résolu d’interroger le maître d’école sur le sens exact du mot "blanchit"; le maître était savant et n’avait aucun intérêt à me tromper, je me rangerais à son avis.
Hélas! Monsieur Ken, à qui je n’avais malheureusement parlé ni de crème Hazeline Snow ni de peau noire susceptible d’être éclaircie, n’avait pas eu l’ombre d’une hésitation: " blanchit ", avait-il déclaré d’un ton péremptoire, voulait bien dire "faire vine blanc". II en avait d’ailleurs profité pour écrire au tableau les mots: " blanchisseuse = dhobi ", et, sur sa lancée, bleuir, verdir, jaunir et rougir, complétant magistralement la leçon par la conjugaison au présent, futur et passé simple des "verbes en ir, participe présent -issant". Bref, j’avais été servie au-delà même de mes espérances, et vivement félicitée de ma curiosité lexicale. "Grâce à toi, tes petits camarades ont appris aujourd'hui des mots nouveaux, tu m’as donné un sacré coup de main, tu sais!"
Voilà donc comment Ah-Fat, Monsieur Ken et le fabricant de la crème Hazeline Snow s’étaient ligués pour me conduire en droite ligne à cette deuxième illusion : on pouvait effectivement devenir blanc, il y avait des crèmes pour ça. D’où j’avais aussitôt conclu en bonne logique (du moins celle de l’enfant de six ans que j’étais alors) qu’on pouvait devenir parfaitement heureux. Rien de plus, rien de moins : le bonheur absolu était accessible, il se vendait, il suffisait de pouvoir l’acheter...

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