Les belles âmes
                                Lydie Salvayre
 
  Editions du Seuil
  2000
  156 pages
Note : 13/20

Il y avait le tourisme vert, le tourisme sexuel, les voyages du troisième âge… Désormais grâce à Real Voyages existent les voyages chez les pauvres. Comme on va au zoo voir des bêtes en cage, ce voyagiste organise des tours pour aller à la rencontre de la pauvreté en Europe. De Paris à Bruxelles, de Berlin à Milan, un car rempli de bourgeois sillonne les cités et autres ZEP à la recherche... A la recherche de quoi ? De bonne conscience ? De voyeurisme ? De sociologie ? Car tels les nouveaux sociologues de notre époque, ces voyageurs vont se frotter au réel, côtoient les pauvres comme s'ils étaient une sorte de tribu sauvage et ainsi « s'instruisent sur la question des défavorisés en Europe ». Etonnant, non ? Impossible ! Ou terriblement visionnaire ?

En effectuant ce voyage dans les pourrissoirs de l'Europe, poursuit l'accompagnateur, vous avez opté courageusement pour une descente vers le réel. Car ce voyage, mesdames, messieurs, n'est rien d'autre qu'une descente vers le réel. Cette cité c'est le réel. Le réel s'y réalise. Jusqu'à devenir cauchemar. Les choses y sont les choses, comprenez-vous cela ? les choses. Dans leur horrible crudité. Dans leur totale insignifiance. Posées là à la hâte et n'importe comment. Sans nul éclairage capable de les transfigurer. Sans nulle théogonie qui transmue leur nature. Sans passé, sans histoire, sans rien qui les magnifie ou les allège ou les révèle à leur énigme. Et cette trivialité atroce qui écrase ses habitants vous écrasera à votre tour. Votre âme alors entrera en crainte. Vous vous sentirez avilis. Ensuite viendra pour vous le temps de la méditation. Et celui des larmes.
Les touristes stupéfaits par ces sermons, et comme frappés de sottise, restent plantés entre les blocs H et I.
Vus à distance, ils tranchent nettement sur le décor. Bien que l'accompagnateur leur ait recommandé de se vêtir avec simplicité, ils sont atrocement voyants. Des intrus. Des cibles vivantes. Brusquement, ils aimeraient se tapir, disparaître. Pendant quelques instants, pendant quelques instants seulement, ils éprouvent, à l'instar d'Olympe, le sentiment d'être de trop. Moment à marquer d'une croix.

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