Des feux sous la cendre
                                Jean-François Coatmeur
 
  Le livre de Poche
  1994
  381 pages
Note : 16/20

Que s'est-il passé dans la tête de Bernadette Mérou, cette jeune fille retrouvée au bas de la corniche par un pluvieux dimanche de janvier ? Suicide ? Meurtre ? Le mystère reste entier car si la jeune fille en est ressortie vivante, sa mémoire a, quant à elle, refermé une lourde porte sur ses secrets.
Mais bientôt, le passé refait surface sous la forme d'Alphonse Ludulic, un vieillard malmené par son neveu et reclus dans une maison de retraite. Quels étaient les liens entre Bernadette et lui ? Pourquoi semblait-elle tant s'intéresser à son cas ? Quelles ombres planent sur les derniers jours de Bernadette ? Bien des questions que tenteront de résoudre les membres de sa famille... au péril de leur vie ?
Une ambiance froide, parfois malsaine, un rythme dans l'ensemble assez soutenu, un dénouement inattendu et l'écriture, fine, de Jean-François Coatmeur, le tout dans un polar plutôt bien mené et qui vous fera passer un bon moment de lecture !

La première nuit, d'abord, la plus horrible. On est là, dans un vestibule d'hôpital, posée sur un banc comme un paquet oublié, impuissante, et on sait qu'à cette seconde, à quelques mètres, sous la lumière crue d'une chambre de vivisection, des spectres masqués martyrisent le corps de votre enfant. On voudrait hurler, on se tait, il n'y a personne pour entendre votre cri, sinon le factionnaire impassible à son guichet, le couloir est désert et nu comme un quartier de la mort.
Une "blouse blanche" solennelle tout à l'heure a énoncé :
- Traumatisme crânien avec hémorragie intracérébrale et hématome sous-dural. Nous allons procéder à la trépanation. La technique par aspiration ne présente aucun problème de principe. Attendez.
On attend depuis un siècle. Chaque bruit de pas à l'extrémité du corridor vous remet debout. S'amène un professionnel affairé et, de loin, on essaie de lire un verdict sur la face blafarde qui passe sans vous voir.
Mais non, Line n'est pas seule, quelqu'un se tient auprès d'elle, il ne l'a pas quittée, sa main jamais lassée rattrape la main qui se dérobe et sa voix enrouée se tue à lui inculquer une espérance qu'il n'a pas. Théo, le compagnon assidu de la mauvaise chance. Des heures côte à côte, à réchauffer l'une contre l'autre leurs deux angoisses, dans la grande débâcle des cerveaux, aux prises avec la même pensée, mille fois écartée et qui sans cesse exhibe ses crocs : cela dure trop longtemps, quelque chose n'a pas marché, elle est morte.
- On est dimanche, Théo. On dit que c'est un mauvais jour dans les hôpitaux, qu'on tombe souvent sur des remplaçants...
- Des bobards. Tu te fais inutilement mal.
Théo est sage. Le professeur Bertioux a pu être joint à son domicile, il est accouru.
- Tout s'est déroulé normalement, dit-il.
Il a bien voulu les recevoir dans un bureau. C'est encore la nuit. Bertioux a une belle figure de prince du scalpel. Il sent la lavande Roger et Gallet. La clarté du tube au néon patine sa face ivoirine que la barbe de l'aube bleuit au menton. Il expose le cas. Bertioux est précis, cartésien. Il ne les regarde pas, il tient à marquer les distances avec ses solliciteurs, il contemple ses mains savonnées de frais qu'il a étalées sur la table, ou, s'il relève la tête, il prend immédiatement de la hauteur, s'envole au-dessus des deux épaves écrasées à ses pieds. Il est en train de faire un cours à ses carabins, songe Line, révoltée. Elle l'écoute pourtant avec passion, elle est collée aux lèvres minces qui soupèsent minutieusement les chances de survie, elle enregistre les termes cabalistiques et terribles : "coma dépassé...", "période critique...", "surveillance sous monitoring..." Voilà, la messe est dite, le grand prêtre est fatigué et vous salue bien.
Des heures, des jours, des semaines. La limite cruciale a été franchie, Bernadette vit. C'est ce qu'on répète à Line et ce doit être vrai. Cette momie enturbannée, criblée de tuyaux, dont elle n'entrevoit de loin, à travers une vitre, que les traits noirs des yeux clos dans la lucarne du bandage, cette gisante inerte sous sa tente aseptisée, oui, cette chose est sa fille. Bernadette vit. Dans ce cadavre blanc un cœur bat, dit-on, le sang va son chemin, le phénomène est indiscutable, cadrans et diagramme l'attestent... De temps en temps, Line croise un interne qui est venu s'assurer que le machine tourne en pinçant le sein de l'allongée.
- C'est tout bon, madame. Réflexes cent pour cent satisfaisants.

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