Les enfants qui rêvaient de traverser la mer
                                             Duyên Anh
 
  Editions du Seuil
  1999
  236 pages
Note : 13/20

"Ces jeunes et moi, nous nous sentons proches, nous nous entendons fort bien, non parce que nous partageons je ne sais quel idéal, mais simplement parce que nous témoignons d'une compréhension, d'une affection mutuelles, attitude que nous voudrions voir davantage répandue parmi les êtes prétendument humains".
Ca Dao, autrefois, était écrivain mais quand les rebelles nord vietnamiens reprirent le pouvoir en 1975, il fut contraint, lui pauvre intellectuel synonyme de danger, d'être "rééduqué". Envoyé dans un camp, abandonné par sa femme et ses enfants, déchu de ses droits civiques, il ne lui restait plus que la possibilité d'être cyclo-pousse...
Mais à travers cette profession qui fait partie du monde de la rue, il va côtoyer d'autres exclus de la société, les métis américains, enfants dont la jeunesse est éclairée par des rêves de départ vers le si grand et si beau pays de l'oncle Sam. Ça Dao va peu à peu les recueillir auprès de lui. Il va les aider à préparer leur grand voyage et surtout, il va leur réapprendre à vivre. Car ces enfants n'ont jamais demandé à naître et souffrir des erreurs des grands... mais pour eux, il ne reste que l'espoir de partir et retrouver la patrie d'un père fantomatique. Combien d'entre eux y parviendront ?
Le thème, qui se prête davantage à un reportage filmé qu'à un roman, est cependant merveilleusement traité ici. Nous regrettons seulement un certain manque de rythme au fil de l'histoire. Et attention, âmes sensibles s'abstenir car qu'est-ce que c'est triste !

Un mois plus tard, les communistes "libéraient" Saigon? En juillet, l'oncle reçut l'ordre de se présenter aux autorités. On l'envoya en prison pour qu'il se rééduque : les hommes de la police spéciale étaient particulièrement visés.
- Qui sait quand il reviendra, et même s'il reviendra, dit la tante.
Accablée, toute la famille comprit que les jours sombres s'annonçaient. Des membres des Jeunesses révolutionnaires vinrent enrôler la fillette.
- Tu ne peux refuser, lui expliqua la tante. Ton oncle est enfermé pour crime contre le parti alors si tu n'obéis pas, cela me causera de très gros ennuis, ainsi qu'au reste de la famille.
Jane entre donc aux jeunes Faucons rouges. On devait accomplir des travaux d'utilité publique : ramasser les papiers, balayer les rues et, surtout, rivaliser de zèle. Le soir, on le passait à apprendre des chants révolutionnaires, à scander les slogans qui stigmatisaient les rebelles et les impérialistes, à dénoncer les ennemis du peuple, les tentatives de fuite. Peu à peu, jane posséda le vocabulaire requis : colonialiste, exploiteurs, traîtres à la patrie, néocolonialisme, joie du travail, culture décadente, opulence factice... Les défilés avaient lieu le dimanche : chemise blanche, ou presque, culotte ou jupe noires, foulard rouge au cou, derrière les banderoles rouges aux inscriptions jaunes, on hurlait des couplets, on glorifiait l'oncle Hô, "immortel, toujours vivant à travers les travaux et les pensées de ses chers neveux".
Les premiers temps, l'enthousiasme ne faisait pas défaut. L'estomac bien rempli, grâce aux réserves de provisions abandonnées par les rebelles, les jeunes gens avaient la voix claironnante. Rires et chants fusaient, directs, sonores, joyeux. Les pas martelaient le sol comme s'ils voulaient le défoncer. Puis on connut les restrictions. Avec dans le ventre du riz mêlé aux trois quarts de sorgho, à peine rehaussé d'un semblant de protéines (cent grammes de viande par mois et par personne), on se sentait moins enclin à parader. On finit même par ricaner, brocarder l'oncle bien-aimé et ses œuvres immortelles, sans se soucier des dénonciations ni des tribunaux populaires.
C'est à partir de ses douze ans que Jane commença à vivre les tourments de l'orpheline, sans souvenirs de tendresse, sans rêves, sans avenir, ne se nourrissant que d'espoirs dans lendemain. La tante avait épuisé toutes ses économies et les dollars de la mère de Jane. Elle avait brasé des bricoles et le mobilier appartenant à la famille. Quant à l'oncle, relégué dans les Hautes Régions au nord, il devait continuer de se "rééduquer". Les cousins et les cousines grandissaient, minces et légers comme des roseaux, disent les Vietnamiens. jane n'avait qu'un seul objectif : se remplir l'estomac une fois par jour. Le communisme prolétarien offrait généreusement à tous l'égalité dans le dénuement.

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