Histoires comme ça
                      Rudyard Kipling
 
 
  1902
 
Note : 16/20

Pourquoi les éléphants ont-ils une trompe si longue ? Les rhinocéros, la peau toute plissée ? Et le crabe, des pinces pour se déplacer ?

Si la science et la religion n'ont pas encore répondu à toutes vos questions à ce sujet, lisez Histoires comme ça !
A l'image des bébés qui naissent dans les choux, Rudyard Kipling tente de trouver des réponses très poétiques à ces vérités toutes faites. Après tout, sa version en vaut bien d'autres plus rationnelles. Mais seul celui qui a su conserver une âme d'enfant pourra s'émerveiller de ces récits cocasses où l'écriture multiplie les pirouettes pour nous étonner. Kipling joue sur les mots, en invente de nouveaux et nous fait tourner la tête ! Entre Hérissé-Hirsute le hérisson, Massive-Poussive la tortue, Dingo Chien-Jaune et les multiples surnoms et adjectifs dont Kipling abreuve le texte, il y a de quoi en perdre son Latin. Et son sérieux. La leçon à retenir est peut-être qu'il ne faut jamais cesser de rêver...

Le Parsi enleva son chapeau ; pour sa part, le Rhinocéros enleva sa peau et la jeta sur son épaule pour descendre jusqu'à la plage se baigner. En ce temps-là, elle se boutonnait par en-dessous avec trois boutons et elle ressemblait à un imperméable. Le Rhinocéros ne dit pas un mot à propos du gâteau du Parsi parce qu'il l'avait tout mangé ; il n'a jamais connu les bonnes manières, pas plus à cette époque-là que depuis lors, et il ne les connaîtra jamais. Il entra directement dans l'eau en se dandinant et il se mit à faire des bulles avec son nez, après avoir laissé la peau sur la plage.
Un instant plus tard, le Parsi approcha, trouva la peau, et il eut un sourire qui lui fit deux fois le tour de la tête. Alors il tourna trois fois autour de la peau en dansant et se frotta les mains. Puis il alla jusqu'à son campement et remplit son chapeau de miettes de gâteau car il ne mangeait jamais rien d'autre et il ne balayait jamais son campement. Il ramassa la peau et il la secoua, il frotta cette peau avec force et il y incrusta autant de vieilles miettes sèches, dures et chatouillantes qu'elle pouvait en contenir, sans oublier quelques raisins brûlés. Puis il remonta en haut du palmier et attendit le moment où le Rhinocéros sortirait de l'eau et remettrait sa peau.
Ce que fit le Rhinocéros. Il boutonna les trois boutons et il sentit des chatouillements comme quand il y a des miettes dans un lit. Alors il voulut se gratter et ce fut pire. De même que lorsqu'il se coucha sur le sable et se roula à n'en plus finir : à chaque tour, les miettes le chatouillaient de pis en pis. Alors il courut jusqu'au palmier et se frotta contre l'arbre à n'en plus finir. Il se frotta tellement et si fort que sa peau forma un grand pli sur les épaules, et un autre pli en-dessous, là où se trouvaient les boutons auparavant (à force de se frotter, il les avait perdus), et il y eut encore d'autres plis qui se formèrent sur ses pattes. Cela ne lui arrangera pas le caractère mais cela ne dérangea pas du tout les miettes. Elles étaient à l'intérieur de sa peau et elles le chatouillaient. Alors le Rhinocéros s'en retourna chez lui, vraiment très en colère et horriblement écorché ; et de ce jour-là à celui-ci, tous les Rhinocéros eurent des grands plis sur la peau et très mauvais caractère, tout ça à cause de miettes à l'intérieur.

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