Les rivières pourpres
                                Jean-Christophe Grangé
 
  Albin Michel
  1998
  405 pages
Note : 17/20

Niémans n’est pas un flic comme les autres. Marginal, violent et ne suivant que ses propres théories, il marche seul dans la jungle policière. Au sortir d’une énième bavure, il est envoyé à Guernon, une ville universitaire de l’Isère, où le corps d’un homme vient d’être retrouvé encastré entre deux parois de roches. L’enquête démarre. On pense à un malade mental. L’autopsie révèle des mutilations affreuses : le tueur a extirpé les globes oculaires de sa victime. Commence alors le cauchemar, l’incroyable descente aux enfers qui va amener Niémans à rencontrer Karim Abdouf, un jeune beur devenu flic pour venger la mort d’un ami, un mec de la cité, un des siens. Karim, il est orphelin, la rage de vivre, de vaincre, il l’a eue dès son plus jeune âge alors la douleur, la souffrance, l’atrocité, il connaît. Mais ce qui l’attend, c’est bien pire encore.
Karim enquête à plusieurs kilomètres de là sur le cambriolage d’une école et la profanation d’un cimetière. Sur les traces du passé et du petit Jude Itero, il va peu à peu remonter lui aussi les rivières pourpres. Et les racines du mal finiront par se rejoindre pour révéler au grand jour une vérité au-delà du possible.
Une histoire bâtie sur l’alternance de deux enquêtes, un suspense ménagé, un récit froid, terrifiant et à la fois si captivant, bref tous les ingrédients d’un bon, même très bon polar !

Le silence s'imposa. Fanny alluma une cigarette et demanda tout à coup :
- Depuis combien de temps êtes-vous dans la police ?
- Une vingtaine d'années.
- Qu'est-ce qui vous a motivé dans ce choix ? L'arrestation des méchants ?
Niémans sourit, cette fois avec franchise. Du coin de la paupière, il repéra l'arrivée d'une nouvelle escouade, aux carapaces perlées de pluie. A leur seule expression, il sut qu'ils n'avaient rien découvert. Son regard revint vers Fanny, qui inhalait une longue bouffée.
- Ce type d'objectif, vous savez, ça se perd très vite dans la nature. D'ailleurs, la justice, et tout le bla-bla autour, ça ne m'a jamais branché.
- Alors quoi ? L'appât du gain ? La sécurité de l'emploi ?
Niémans s'étonnait :
- Vous avez de drôles d'idées. Non, je crois que j'ai effectué ce choix pour les sensations.
- Les sensations ? Du genre de celles que nous venons de vivre ?
- Par exemple.
- Je vois, acquiesça-t-elle avec ironie, en soufflant de la fumée blonde. "L'homme de l'extrême". Qui donne du prix à son existence en la risquant chaque jour...
- Et pourquoi pas ?
Fanny imita la position de Niémans épaules voûtées et mains réunies, comme en prière. Elle ne riait plus. Elle semblait deviner que Niémans, derrière ces généralités, livrait à cet instant une part de lui-même. Elle murmura, cigarette aux lèvres :
- Pourquoi pas, en effet...
Le policier baissa les yeux et scruta, à travers les courbures de ses lunettes, les mains de la jeune femme. Pas d'alliance. Seulement des pansements, des marques, des crevasses. Comme si l'alpiniste s'était mariée plutôt avec les éléments, la nature, les émotions violentes.
- Personne ne peut comprendre un flic, reprit-il avec gravité. Encore moins le juger. Nous évoluons dans un monde brutal, incohérent, fermé. Un monde dangereux, aux frontières bien établies. Vous êtes en dehors, et vous ne pouvez plus le comprendre. Vous êtes en dedans, et vous perdez toute objectivité. Le monde des flics, c'est ça. Un univers scellé. Un cratère de barbelés. Incompréhensible. C'est sa nature même. Mais une chose est sûre : nous n'avons pas de leçons à recevoir des bureaucrates qui ne risqueraient même pas de se coincer les doigts dans leur portière de bagnole.

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